Ces conférences privées ont été données près de Lyon le 25 août 2020. Voici un résumé de la première partie (il s’agit de mes notes légèrement retravaillées, pardonnez-en le style un peu oral). Retrouvez-la sur YouTube en cliquant ici.
Dans cette série de trois cours, nous allons partir du global, d’une vision large, puis focaliser petit à petit. Nous allons donc parler de la société politique, ensuite du rôle de la femme de façon général, et enfin des applications pratiques au quotidien, que nous pourrons tirer suite à toutes ces réflexions. Pourquoi vous parler aujourd’hui du rôle de la femme dans la famille et dans la cité ? Parce que je pense que c’est un rôle trop souvent 1° incompris (et contre lequel on se rebelle donc, ou alors dont on se désintéresse) 2° dont on ne mesure pas toute l’ampleur (et les responsabilités que cela nous donne). Ces conférences ont pour but de bien mettre la vocation de la femme en perspective pour en comprendre l’importance, puis à plat afin de pouvoir en tirer des conséquences pratiques et savoir comment agir.
1ère partie : La société politique et bien commun
A. Importance de la société politique et du bien commun, rôle individuel et responsabilité collective
Commençons par bien définir ce dont nous parlons. Qu’est-ce que la société politique ? La société politique est une société parfaite [c’est à dire permettant à toute personne d’y bien vivre, sans aide extérieure] composée d’hommes en familles, dirigée par une autorité qui l’organise par des lois, en vue d’une fin appelée le Bien Commun. La notion de société parfaite s’oppose à celle de communautés imparfaites telles que la famille, la tribu, le village, et les diverses associations intermédiaires qui ne peuvent pas donner à leurs membres tout ce qui est indispensable pour vivre et bien vivre.
1 – Pourquoi une société politique est-elle nécessaire à l’homme ?
Parce que l’homme est par nature social et politique, de sorte qu’il appartient naturellement à une cité. Pourquoi l’homme est un animal social ? Aristote le dit dans Politiques, I, 2. La spécificité de l’homme par rapport aux animaux est le langage, qui suppose une réciprocité et un rapport à l’autre. De plus, il n’est pas aussi protégé par la nature que les autres animaux (cornes, griffes…) et naît incapable de subvenir à ses propres besoins jusqu’à un âge relativement avancé. Il a besoin d’une première société, la famille, pour subvenir à ses besoins. Il est naturellement social. Pourquoi l’homme est un animal politique ? La famille a besoin de corps intermédiaires (pour proposer travail, services et biens) pour réussir à survivre. Et ces corps intermédiaires ont besoin d’une société supérieure qui les organise : c’est la société politique. L’homme est un animal rationnel donc il cherche non seulement à vivre mais à bien vivre (instruction, éducation, transmission du savoir, justice). Une telle société est une communauté politique, la communauté qui est celle de nos pères est la patrie. Donc l’homme est un animal politique.
2 – Pourquoi l’homme est-il ordonné à cette société politique ? En vue du bien commun
La partie est pour le tout, et le bien de la partie pour le bien du tout. Donc « l’homme tout entier est ordonné à la communauté entière dont il fait partie » (St Thomas, Somme théologique, II-II, 65, 1), et son plus grand bien naturel immanent est le Bien Commun de la cité dont il fait partie. Sa fin immanente ( = proche, sur cette terre) qui est ordonnée à une fin naturelle transcendante, est la vision béatifique. Ainsi, l’homme a dans la pratique une fin intermédiaire : le bien commun politique, elle-même ordonnée à une fin ultime : la vision béatifique. Militer politiquement est un devoir pour tout homme et a fortiori pour tout catholique. La poursuite du bien commun est un devoir de charité. L’homme, qui est par nature membre d’une communauté politique, est ordonné à elle, comme la partie est ordonnée au tout. Donc prendre part à la vie politique est un devoir et non une option.
3 – Bien commun et bien individuel ne s’opposent pas mais doivent être ordonnés
La cité est une pluralité de personnes réunies en une communauté nationale en raison, entre autres, de leur nature sociale et politique, en vue du bien commun. La fin de la société politique est le bien commun, donc l’unité de la cité ou l’amitié politique, puisque ses membres sont des personnes et que l’unité des personnes s’appelle amitié. « Toutes les parties sont ordonnées à la perfection du tout : le tout n’est pas pour les parties mais les parties pour le tout » (St Thomas d’Aquin, Somme contre les gentils, III, 112). Tous les citoyens sont ordonnés à la cité et pas le contraire. La cité est la réalisation de toutes les potentialités de la nature humaine. En s’ordonnant au bien commun, l’individu ne nie pas son bien particulier, puisque c’est dans le bien commun qu’il trouve son bonheur. Le bien du tout vaut mieux que le bien particulier de chacun des membres du corps social.
B. Les devoirs de l’individu vis-à-vis de cette société : bien commun et amitié politique
Nous avons vu l’importance et la nécessité de la société politique pour l’homme. Nous allons maintenant voir comment se situe l’individu par rapport à cette société, quels sont ses devoirs et ce à quoi il doit tendre. Nous avons déjà précisé qu’il devait s’intéresser et s’impliquer dans l’action politique. Il est nécessaire maintenant de développer un peu ce qu’est le bien commun et ce qu’est l’amitié politique pour mieux comprendre notre devoir en tant qu’animal social et politique.
1 – Qu’est-ce que le bien commun ?
Nous l’avons vu, c’est la finalité de la société politique, la fin intermédiaire de l’homme, fin elle-même ordonnée à une fin ultime : la vision béatifique. Le bien commun est spirituel, par opposition aux biens matériels (plus on divise une somme d’argent, plus les bénéficiaires auront une petite part). Selon une perspective aristotélicienne, les hommes s’unissent entre eux non seulement pour vivre mais pour bien vivre, c’est à dire vivre en conformité avec leur nature humaine qui est aussi spirituelle ou rationnelle. Le bien commun est en partie réalisé lorsque la société parvient, grâce à l’effort de tous, à une situation économique qui apporte pour chacun un minimum d’aisance matérielle. Le bien commun suppose le bien de chacun ce qui justifie existence propriété privée (vs. communisme). Propriété qui n’est pas un droit individuel (vs libéralisme) mais une condition sine qua non du bien de la communauté. La vie matérielle des membres d’une communauté politique n’est pas la finalité de cette dernière : une société n’atteint ce pour quoi elle est faite que lorsqu’y règnent la justice, l’ordre qui permet la paix et l’amitié politique. Les trois constituantes du bien commun sont donc : la justice (ne pas causer de tort aux autres), l’ordre (absence de trouble, donc la paix) et l’amitié politique (seule valeur strictement positive comparée aux deux premières qui sont négatives ou « absence de »).
2 – Qu’est-ce que l’amitié politique ?
L’amitié politique est la bienveillance réciproque entre l’ensemble des membres de la cité. Il n’y a de bonheur que dans l’amitié puisque l’homme est un animal social et politique. L’amitié est la volonté de vouloir le bien de l’autre, c’est-à-dire son bonheur réel. Volonté qui pour être effective doit se traduire par des actes. Renoncer à son propre bien pour celui de l’autre, donner sa vie pour l’autre. C’est seulement lorsque tous les membres de la société entretiennent des liens authentiques d’amitié que la société réalise pleinement ce pour quoi elle est faite. L’amitié ne peut pas exister sans ordre ni justice, sinon il y a de la discorde. La justice et l’ordre ne sont pas une fin en soi mais sont ordonnées à l’amitié politique. L’amitié politique peut paraître contradictoire parce qu’en même temps obligatoire, finalité de la communauté politique et en même temps on ne peut pas contraindre les gens à être amis. Aristote dans Politiques nous donne la réponse, le moyen de surmonter cette contradiction, et c’est l’éducation : « La cité est une pluralité qui par le moyen nécessaire de l’éducation, doit être amenée à une communauté et à une unité ». Prendre en charge l’éducation des enfants pour les ordonner au bien commun qui est leur fin ultime d’individus rationnels. L’homme doit renoncer aux désirs qui relèvent de sa subjectivité singulière et ne désirer que ce qui tend à la volonté objective de se nature. L’essence de l’amitié politique est une émulation mutuelle et bienveillante dans la recherche commune et la contemplation de la vérité, passant par l’émulation dans la pratique des vertus. Concurrence mutuelle et bienveillante entre les membres de la cité dans la recherche du vrai et la pratique des vertus qui font le bonheur authentique de l’homme. C’est à la fois une contemplation de la vérité et une pratique de la vertu.
3 – Quelles conséquences pour nous en tant qu’individus (hommes et femmes) ?
Tout d’abord, nous devons bien comprendre et bien intégrer ce dont nous venons de parler. Nos choix individuels ont forcément des conséquences à plus large échelle, sur la cité politique. Rappelons l’importance du politique qui travaille à deux finalités : le bien commun et la gloire de Dieu. Il faut le comprendre pour mieux prendre conscience de notre rôle et de l’importance de nos choix et de nos actions. Il faut parfois faire des sacrifices pour le bien commun, puisque c’est l’individu qui est ordonné à la cité et pas le contraire. Le bien commun passe avant le bien individuel. Il peut-être difficile de le comprendre dans la société égoïste actuelle. Pour le comprendre il faut se dire que le bien commun doit être entendu comme le bien du tout, mais aussi comme le meilleur bien de l’ensemble des membres de la communauté politique. Avec cette définition, on évite le totalitarisme d’un côté (bien du tout uniquement, écrasant, méprisant les biens particuliers) et le personnalisme de l’autre (en considérant le bien individuel comme supérieur). Ce peut être aussi difficile à comprendre pour nous les femmes qui avons généralement tendance à voir les choses à courts termes ou alors dans notre rayon d’intérêt proche (famille par exemple). Il est parfois difficile de faire passer le bien commun avant le bien de ses proches, donc lorsque l’on comprend tous les tenants et aboutissants de ces questions, il est plus facile de s’y soumettre. Il existe un devoir politique, comme nous l’avons vu plus haut. Nécessité de s’y investir, de s’y intéresser. Chacun doit apporter sa pierre à l’édifice. Chacun a une responsabilité et ne peut pas uniquement se reposer sur les autres (je laisse les hommes faire, je laisse ceux que je trouve plus intelligents faire, je m’y intéresserai plus tard, je ne pense pas que ce soit pour moi…). Nous devons à la fois rester à notre place et surtout avoir un idéal. L’agir politique doit tendre vers un idéal pour être effectif. Cet idéal collectif, c’est le bien commun. Dans l’ordre naturel, l’idéal moral est celui de l’homme qui agit selon sa raison, puisque celle-ci est la différence spécifique de l’homme. Avoir un idéal et tendre vers celui-ci pour sauver le monde plutôt que de rester dans la médiocrité et le défaitisme. Ne pas baisser les bras, travailler chacune à notre échelle pour faire changer les choses. Avoir de bonnes idées, c’est bien, les mettre en pratique, c’est mieux.
C. Comment définir la femme dans cette société politique ?
Nous venons de parler de la société de façon générale, de la place de l’individu par rapport à la cité, de la partie ordonnée au tout (individu = homme comme femme). Mais il est évident que l’homme et la femme, s’ils doivent tous les deux travailler au bien commun, ne le font pas de la même manière, car n’ont pas les mêmes aptitudes, les mêmes talents, la même force, la même façon de fonctionner. Comme on vient de le voir par exemple, il peut être plus difficile pour la femme de faire des sacrifices en vue du bien commun, alors que pour l’homme cela sera plus naturel et plus évident. Il est important que chaque sexe reste à sa place et capitalise sur ce que lui a donné la nature pour que la société tende plus facilement au bien commun. La société actuelle est individualiste et androgyne. Dans la deuxième partie du cours, nous rentrerons plus dans les détails, mais parlons déjà de deux écueils à éviter.
1 – Société individualiste : femme indépendante vs femme dépendante
De façon générale, nous sommes dans une société individualiste. Chacun poursuit son petit bonheur, son plaisir, ses désirs. La notion de bien commun n’existe presque plus. Chacun vit pour soi. En ce qui concerne la femme, on veut la rendre complètement indépendante. L’homme peut être un « plus », un accessoire sympathique, mais surtout elle ne doit pas dépendre de lui. Idem pour les enfants, ils deviennent des objets de plaisir, ils sont là pour nous satisfaire si nous le souhaitons, cela ne va pas plus loin. On le voit avec les titres des magazines et l’essor du développement personnel. Ce qui compte, c’est MOI. Il est mal vu de dépendre de quelqu’un, que ce soit financièrement, affectivement, etc. Les relations hommes-femmes très tendues à notre époque, et c’est sûrement dû à certaines vraies injustices subies par les femmes (cf. Code Napoléon par exemple qui les réduit au rang des fous et des mineures) et à leur déception vis-à-vis des hommes. Et c’est réciproque. Chacun préfère partir de son côté et ne pas dépendre de l’autre, ou en tout cas chercher son bonheur seul et l’autre peut-être un bonus. Chaque sexe se méfie de l’autre, homme et femme se voient comme des ennemis et c’est ce qui les pousse à être indépendants et individualistes. Moins les hommes sont virils, moins les femmes sont féminines et vice-versa. Deux écueils à éviter : les hommes primaires qui considèrent les femmes comme des distributeurs de plaisir et de services sans s’intéresser à elles et à leur relation de couple. Les femmes primaires : difficulté presque insurmontable à reconnaître les véritables qualités à chercher chez un homme, faire de mauvais choix et finir déçues.
2 – Société androgyne : être vraiment féminine, être vraiment viril
La société veut faire de la femme un autre homme, veut gommer les différences homme-femme. La société actuelle est posée à travers un prisme conflictuel : nous sommes marqués par la conception marxiste de lutte des classes. L’autre est un antagonisme. L’homme et la femme sont en lutte pour le pouvoir. Or rien de plus faux : l’homme et la femme se complètent. Cela est surtout vrai dans l’ordre spirituel, et il nous en est donné un vestige, une image dans l’ordre naturel par l’union des deux sexes. Pas de procréation donc pas de vie sans l’union des deux. Il est important de rappeler la beauté et la fécondité de la complémentarité homme-femme et tout le bien qu’ils peuvent s’apporter mutuellement, on le verra tout au long de ces trois cours. Si l’on se réfère au récit de la Genèse, la femme est la compagne de l’homme, celle qui a été créée pour que l’homme ne soit pas seul. Créée à partir de l’homme (vs Adam créé à partir de la terre) et pour l’homme. Pas pour que l’homme en jouisse de façon égoïste ou en fasse son esclave, non. Pour être une « aide semblable à lui », l’aider donc à atteindre sa fin, ce pour quoi il a été créé. Pie XII nous dit : « Les deux sexes, en vertu de leurs qualités particulières elles-mêmes, sont ordonnés l’un à l’autre, de manière que cette mutuelle coordination exerce son influence dans toutes les manifestations multiples de la vie humaine et sociale.«
Nous voyons que ce qui est important et ce sur quoi la femme doit travailler car ce n’est pas évident pour elle : comprendre et accepter que la partie est ordonnée au tout, et que le bien commun passe avant le bien individuel. Accepter aussi que l’homme et la femme aient des rôles distincts et complémentaires, et que dépendre de l’autre pour former une véritable société politique n’est pas mauvais en soi et n’enlève rien à notre dignité et à notre valeur.
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