Voici quelques extraits de la dernière revue Foyers Ardents, consacrée cette fois-ci au pardon. Pour vous abonner à cette superbe revue, c’est ici !
Nous avons tous quelque chose à pardonner : de toutes petites offenses mais parfois de plus grandes, des incompréhensions, des malentendus ou des injures graves ; elles ont pu blesser notre amour-propre mais elles ont même quelquefois atteint le sens de la justice. Notre âme peut avoir été blessée profondément et les séquelles sont peut-être profondes. La plaie s’est-elle logée très loin au fond de notre cœur ? Et même si les personnes auxquelles « on en veut » sont déjà décédées, toujours Dieu veut que nous parvenions à pardonner. Saint Paul, à plusieurs reprises, invite le chrétien à « se revêtir d’entrailles de miséricorde, de bénignité, d’humilité, de modestie et de patience ». Ces vertus, par leur dimension sociale, engendrent la paix dans les familles, la paix dans les communautés. Saint Paul conclut en effet : « Et que la paix du Christ, à laquelle vous avez été appelés pour former un seul corps, règne en vos cœurs ». Mais hélas, cette paix avec autrui est toujours fragile ici-bas, souvent blessée ; aussi saint Paul nous demande-t-il de nous « pardonner mutuellement, si quelqu’un a un sujet de plainte contre un autre ». Ce point est aussi important que délicat.
Il est important, car du pardon que nous accordons aux autres dépend le pardon que Dieu nous accorde. C’est le Notre Père : « Pardonnez- nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Retrouver la paix avec Dieu, la paix profonde de l’âme, n’est pas possible tant que nous n’avons pas, autant qu’il dépend de nous, retrouvé la paix avec nos frères. Et certains restent hélas des années le cœur fermé, fermé par des blessures et des rancunes. Pire, certains meurent sans s’être réconciliés. Comment se présenteront-ils devant Dieu ? Là il n’y aura plus de faux-semblants. La mesure du pardon que nous n’aurons pas donné sera la mesure du pardon que nous ne recevrons pas ! Ce point du pardon est donc important. Il est délicat aussi, car il existe nombre d’illusions à son sujet. Quelquefois, il nous semble que pardonner à notre ennemi serait lui donner carte blanche pour mieux recommencer ses méfaits à notre endroit ; d’autres fois, nous croyons avoir pardonné, alors que nous restons remplis de rancune ; ou bien à l’inverse, on croit que son pardon est faux, car le souvenir de l’offense remonte à notre mémoire, pour nous hanter un moment. Bref, nous ne savons pas quand et comment pardonner. Aussi saint Paul donne-t-il un critère : « Comme le Seigneur vous a pardonné, pardonnez, vous aussi ». Mais le Christ ne pardonne pas toujours ! Il y pose en effet la condition indispensable du regret de nos péchés. Aussi, pour apprendre à pardonner, il importe de distinguer trois temps :
1) Quand l’offense est commise, et que l’offenseur ne donne pas de signe de repentir, voire semble persévérer dans sa voie mauvaise ;
2) Quand le coupable demande pardon ;
3) Une fois que le pardon a été accordé.
A chacun de ces temps, correspond trois sens différents du mot « pardon », trois manières différentes d’agir.
La première phase du pardon
Venons-en au premier cas évoqué : lorsque quelqu’un vous a gravement offensé et que, loin de manifester quelque regret, il semble au contraire persévérer dans sa voie mauvaise. Nous sommes alors face à ce que nous appelons un ennemi. Il est clair que vous ne pouvez lui pardonner au sens strict. Dieu lui-même n’agit pas ainsi, réclamant que nous regrettions nos péchés pour les remettre. Pour être concret, si un voleur vous arrache votre sac dans la rue, vous n’allez pas l’inviter chez vous prendre un café sous prétexte de pardon : ce serait le meilleur moyen pour lui faire découvrir tout ce qu’il peut encore voler, ce serait le pousser au mal. Non, celui qui vous a offensé gravement, vous ne pouvez pas lui pardonner au sens strict, tant qu’il ne regrette pas son offense. Serait-ce alors que le mot pardon n’ait aucun sens en ce cas-là ? Si. Revenons à son origine étymologique. Le mot « pardon » signifie donner par-delà, continuer à donner le bien par- delà le mal qui nous est fait. C’est ce à quoi nous invite saint Paul : « Ne soyez pas vaincu par le mal [en devenant vous-même mauvais, car rendant le mal pour le mal], mais soyez victorieux du mal par le bien ». Rendre le bien pour le mal, c’est tout simplement ce que nous demande Jésus dans l’Évangile : « Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent : afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et descendre sa pluie sur les justes et sur les injustes.» A agir ainsi, on disposera le coupable à regretter, puis à demander pardon. (…)
Cette première phase du pardon, qui concerne ceux qui sont encore nos ennemis, est certainement la plus difficile à pratiquer ; mais la plus importante. A s’y exercer, les deux phases suivantes du pardon seront plus aisées. On peut même dire que, menée à la perfection, cette première phase génère chez l’offensé le pardon pris au sens strict, bien que du côté de l’offenseur, il y ait encore un obstacle pour le recevoir effectivement, à savoir son attache au mal. C’est en ce sens que saint Thomas invite les parfaits à pardonner au sens strict, quand bien même l’offenseur ne regretterait pas encore sa faute. Avant d’aller plus loin, il importe à chacun de s’examiner pour savoir si, de son côté, il a fait le nécessaire pour être en paix avec son prochain, ou si au contraire il entretient des rancœurs vis-à-vis de certains. Cherchons également à savoir si nous n’avons pas offensé gravement notre frère par le passé, sans lui avoir demandé pardon et cherché à réparer. Oui, examinons-nous : nous ne pourrons entrer au Ciel avec tout cela sur la conscience. Examinons-nous et jugeons-nous aujourd’hui, afin que Dieu n’ait pas à nous examiner et à nous condamner demain.
La deuxième phase du pardon
Nous le disions, le pardon au sens strict ne peut être accordé que quand autrui regrette sa faute. Il ne nous est pas demandé plus qu’à Dieu, qui agit ainsi envers nous. Commençons néanmoins par noter que, lorsqu’il s’agit d’offenses sans gravité, ce regret doit être supposé chez autrui, quand bien même il ne serait nullement manifesté. En ce cas, notre pardon devra être pour ainsi dire immédiat. Ainsi en est-il par exemple quand on nous injurie. Il relève de la grandeur d’âme de savoir n’en tenir aucun compte. Cicéron dit de Jules César qu’il avait coutume de n’oublier que les injures. C’est parce que le sage, dit Sénèque, est au-dessus de l’injure. Il est en effet plus digne d’un grand cœur de pardonner une injure, que de demeurer vainqueur dans un différend. Si nous appliquions seulement cette première règle, beaucoup de différends seraient évités. Nous réagissons hélas tellement souvent par susceptibilité, par amour propre blessé… Beaucoup plus que l’offense d’autrui, c’est cet amour propre qui est source de divisions. Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’offenses plus graves, soit en elles-mêmes, soit par leurs conséquences, il est évident que la réconciliation ne peut se faire que si le coupable exprime son regret d’une quelconque manière. C’est par exemple le cas lorsque quelqu’un vous a causé un dommage grave, que ce soit par injustice, ou en manquant à sa parole. Il doit reconnaître ses torts, pour qu’il y ait réconciliation. Cependant, pour lui pardonner effectivement, n’attendez pas que ses excuses soient parfaites, complètes, aussi humbles que n’a été injuste son injustice. Au contraire, soyez large en la matière, sachez vous contenter des premiers gestes, des premiers mots. L’homme est hélas bien orgueilleux, il lui en coûte de s’humilier. N’exigez pas trop de lui. (…)
Que signifie pardonner ? Ne plus tenir rigueur du mal causé. Il serait donc injuste de faire sentir à l’autre que, pour nous avoir autrefois offensé, il reste notre débiteur. Ce qui est pardonné est pardonné. Cela veut-il dire qu’on doit remettre à l’autre non seulement la faute commise, mais encore la peine encourue ? Si nous restons toujours libres – et c’est quelquefois très méritoire – de remettre une dette en justice, il semble que parfois, réclamer réparation relève au contraire de la charité. Si votre fils, malgré votre interdiction formelle, a pris votre voiture et l’a cassée, il paraît bon pour son éducation qu’il répare un minimum ! Cette demande de réparation doit alors être signifiée dans l’octroi du pardon, ainsi que Dieu le fait à notre endroit lors de la confession. Ne la réclamer que beaucoup plus tard serait prouver que nous n’avions rien pardonné, mais fait que ruminer. (…)
La troisième phase du pardon
Voici donc l’offense pardonnée. Il reste en nous quelque chose qui peut s’avérer terrible : la mémoire ! Nous avons beau avoir pardonné, voici que nous revient à l’esprit tout le mal que l’autre nous a causé, mal dont peut-être nous souffrons encore, dont peut-être nous souffrirons toujours ! Imaginons le pire : un conducteur en état d’ivresse a tué votre enfant. Il est venu demander pardon et, chrétiennement, vous lui avez pardonné. Mais il suffit d’un rien pour raviver cette mémoire : un geste, une parole, un objet, un lieu. Et voici que, malgré votre pardon, avec cette mémoire qui se ravive, se ravivent aussi parfois des bouffées de rancune, de colère, voire de haine. Nous entrons ici dans la troisième phase du pardon, le pardon de la mémoire.
Si vous avez connu ces moments intérieurs si terribles, il faut commencer par vous rassurer : à eux seuls, ils ne remettent pas en cause la valeur du pardon donné. Certains s’en veulent de ces mouvements intérieurs, et se disent que leur pardon n’a pas été vrai. Si, il l’a été. Ces mouvements vous rappellent simplement combien vous êtes encore trop sensibles. Il vous faudra sans doute renouveler intérieurement votre pardon, encore et encore, à chaque fois que ce mouvement de mémoire s’accompagnera de tentations de rancœur ou de révolte. C’est là aussi le « soixante-dix fois sept fois » dont parle Notre-Seigneur au sujet du pardon. Et tant que vous renouvellerez ainsi intérieurement votre pardon, jamais il n’y aura péché de colère, de rancœur ou de haine, quoi qu’il en soit des mouvements ressentis. Vous vous en dissocierez au contraire, et lentement ces mouvements se dissocieront des rappels de votre mémoire, ils vous abandonneront. Et vous aurez grandi d’autant dans la vertu. Car, lorsqu’il s’agit de grandes blessures du passé qui nous ont marquées en profondeur, pardonner ne revient pas à oublier. C’est accepter de vivre en paix avec l’offense. Le pardon de la mémoire réclame de se souvenir, et non d’enfouir. Une blessure cachée s’infecte, pour distiller plus tard son poison décuplé. (…)
S’il était nécessaire de parler ainsi du pardon, c’est bien sûr de par l’importance du thème. Notre Seigneur est très clair : « Si vous ne pardonnez pas, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses » ; de par son importance donc, mais aussi de par son actualité. L’expérience dit combien il existe dans les familles, entre amis ou anciens amis, des brouilles non dissipées, des brouilles qui souvent se sont envenimées avec le temps. Il faudrait – oui, il faut ! – que la charité du Christ, que la paix du Christ soit plus puissante que toutes ces brouilles, qu’elle en soit victorieuse. C’était là le souhait initial de saint Paul : « Que triomphe en vos cœurs la paix du Christ, à laquelle vous avez été appelés pour former un seul corps».
Cet article est tiré du dernier numéro de Foyers Ardents. Pour vous abonner à cette superbe revue, c’est ici !
Ces articles peuvent également vous intéresser : Créée pour la grandeur et Ces deux facultés qui se font trop rares de nos jours
Crédit photo : Pexels.
Nous le disons tous les jours : « pardonnez nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé ».
D’ailleurs, nous demandons à Dieu de nous pardonner comme NOUS pardonnons. C’est donc à nous de faire le « premier pas »
Exactement !