Sermon donné à Nantes, le 14 février 2021, par un prêtre.
« Il y a des sermons qu’un prêtre a du mal à faire. Non pas parce que la matière est compliquée, mais parce qu’il craint la réaction de ses fidèles. Même parmi les tradis, il y a des sujets qui froissent. Dès qu’on en entend parler, il y une espèce de blocage qui se fait. On ne veut même pas écouter. Pourquoi une telle réaction ? Parfois la faute est à nous, aux prédicateurs, qui n’avons pas su utiliser les bons arguments, qui avons manqué de tact et de délicatesse, ou encore qui avons été trop volontaristes, sans suffisamment expliquer le bien-fondé de la doctrine. Mais parfois la faute est aux fidèles, qui sont trop attachés à leurs habitudes mondaines, qui se laissent entraîner par l’immoralité ambiante, qui ne sont pas suffisamment généreux pour suivre Notre Seigneur jusqu’au but.
« Ah, là l’abbé exagère, il est trop rétrograde. On n’est plus au XIXe siècle. On ne peut pas toujours aller à contre-courant. Et puis, aujourd’hui il est déjà très difficile d’être catholiques, d’aller à la Messe de Saint Pie V, de prier, d’envoyer nos enfants dans les bonnes écoles. Pourquoi nous embêter avec de petits détails ? Les gens du monde font bien pire ». Ces fidèles ressemblent aux Juifs qui autrefois disaient aux prophètes : « Loquimini nobis placentia. N’annoncez pas la vérité pour nous, parlez-nous de choses flatteuses, voyez pour nous des erreurs. Éloignez de nous la voie ; détournez de nous le sentier ; que le Saint d’Israël disparaisse devant nous ». Ce sont les paroles du prophète Isaïe (30, 10-11).
Face à cette attitude, le prêtre est pris au dépourvu. D’un côté, il a peur que ses paroles ne soient pas comprises, qu’elles puissent choquer ou même détourner quelqu’un de la pratique religieuse. N’est-ce pas son devoir, comme le dit encore Isaïe (42, 3), de ne pas rompre le roseau broyé, de ne pas éteindre la flamme vacillante ? De l’autre côté, il a dans ses oreilles les paroles de Saint Paul (2 Tim. 4, 2) : « Proclame la parole, insiste à temps et à contretemps, réfute, menace, exhorte, avec une patience inlassable et le souci d’instruire ».
Que faire ?
S’il veut être un « coopérateur de la vérité » (3 Io. 1, 8), le prêtre doit vaincre tout respect humain. Au même temps, il doit accomplir à fond son rôle de pasteur, de berger, qui n’effraie pas ses brebis, mais les conduit par les chemins de la vie éternelle. Cette prémisse, peut-être un peu longue, était nécessaire pour aborder convenablement le sujet d’aujourd’hui. Car c’est justement un sujet qui froisse. Il s’agit de la modestie chrétienne. Comme d’habitude, au lieu de faire une liste de règles dont on ne comprend pas forcement le bien-fondé, nous étudierons d’abord la doctrine catholique dans son côté positif. Ce n’est qu’après que nous en tirerons les conséquences pratiques, surtout en vue de nos résolutions de Carême.
Qu’est-ce la modestie ? Le mot français « modestie » vient d’un terme latin, modus, qui signifie « mesure, modération ». Pour les théologiens, la modestie est une inclination qui nous pousse à garder nos actes extérieurs dans les limites de la droite raison éclairée par la foi. Au sens strict, la modestie concerne l’usage des vêtements et des ornements du corps. En un mot, elle concerne la tenue. Nous pouvons nous demander : la modestie dans le vêtement est-elle une vertu ? A première vue, il semblerait que non. La vertu, en effet, est quelque chose qui règle et qui perfectionne la nature humaine, qui est la même toujours et partout. La mode, en revanche, change tout le temps, elle varie selon l’époque, le lieu, le milieu social, non seulement chez les païens, mais aussi chez les chrétiens. Si la modestie était une vertu, les chrétiens se seraient habillés toujours et partout de la même manière. C’est plutôt une question de goût et de coutume, que chacun devrait être laissé libre de régler comme il préfère.
Voici une idée très répandue aujourd’hui, même dans nos milieux. Pourtant, les théologiens catholiques sont unanimes : la modestie dans le vêtement est une vertu à part entière. Chez l’homme, en effet, le vêtement a trois fonctions. Premièrement il sert pour protéger le corps des intempéries, du froid, du chaud, de la pluie, du vent. Deuxièmement, il manifeste le rôle social de celui qui le porte : c’est pourquoi le prêtre, le policier, le médecin ont un vêtement spécial ; c’est pourquoi l’homme et la femme doivent s’habiller différemment. Ces deux premières fonctions auraient eu lieu même si nos premiers parents n’avait pas commis la faute originelle. Mais ils ont péché et par conséquent le vêtement a pris une troisième fonction, celle de nous protéger de la concupiscence charnelle. Dans le paradis terrestre, Adam et Ève étaient nus et n’en éprouvaient aucune honte, car leurs désirs sexuels étaient parfaitement ordonnés et réglés par la raison. Cependant, après la chute, ils ont senti le besoin de se couvrir avec des feuilles de figuier. La mauvaise concupiscence, les mauvais désirs avaient pénétrés dans leur esprit. Et nous, nous sommes dans la même conditions.
Aujourd’hui nous ne parlerons pas des deux premières fonctions du vêtement : protection des intempéries et manifestation du rôle social. Nous nous bornerons à la troisième, car c’est surtout sur ce point que la mode actuelle crée des difficultés à la conscience chrétienne. Après le péché originel, avons-nous dit, le vêtement sert pour couvrir des parties du corps qui, laissées découvertes, pousseraient les autres à pécher contre la pureté. Tout homme, même s’il n’est pas chrétien, perçoit cette exigence. C’est pourquoi beaucoup de civilisations anciennes se sont distinguées par la modestie dans le vêtement, par exemple les Romains et les Chinois.
Au même temps, tout homme sent en lui-même un autre désir : celui de plaire, de se faire remarquer, d’attirer les regards, d’apparaître beau ou belle. Il faut le dire clairement : ce désir, en lui- même n’a rien de mauvais. Notre corps est un don du bon Dieu. Il est une partie essentielle de la nature humaine. Il est normal qu’il soit l’objet de nos soins, de notre amour. Je dirai davantage : il est normal qu’on apprécie la beauté partout où elle se trouve. Il est normal qu’un garçon ou une fille cherche à apparaître beau ou belle pour plaire à sa future ou à son futur. Il est normal que le mari cherche à plaire à sa femme et la femme à son mari. Et même pour ceux qui n’ont pas l’intention de se marier, il est normal de soigner son aspect extérieur, car l’extérieur est l’image de ce que nous sommes à l’intérieur. Cependant, le souci pour notre beauté ne doit jamais aller au détriment de notre âme. Car notre nature n’est pas seulement animale, elle est aussi raisonnable et spirituelle. Les biens de l’âme sont largement supérieurs aux bien du corps. Notre tenue extérieure doit, elle aussi, manifester cette supériorité.
Il faut donc un équilibre, il faut une règle qui nous permette de nous placer dans un juste milieu entre le désir d’apparaître beaux et l’exigence d’éviter la concupiscence désordonnée pour nous et pour les autres. Or, partout où il y a une difficulté morale particulière, il y a aussi une vertu spéciale qui nous permet de nous conduire droitement, en évitant au même temps l’excès et le défaut. C’est le cas de la modestie, qui nous incline à utiliser des vêtements selon la droite raison, sans tomber dans l’excès de la mode immodeste ou dans le défaut de la négligence dédaigneuse. La conclusion s’impose : la modestie est vraiment une vertu, plus précisément une partie de la vertu de tempérance. Puisque la modestie est une vertu, nous sommes tous appelés à la pratiquer, tous, hommes et femmes. Mais il est vrai que cette vertu est plus difficile et au même temps plus nécessaire pour les femmes. Pourquoi ? Est-ce du machisme ? Est-ce que les prêtres font deux poids et deux mesures pour les garçons et pour les filles ? Rien de tout cela. C’est tout simplement du réalisme.
Demandez à n’importe quel psychologue moderne, quelles que soient ses convictions religieuses. S’il est honnête, il vous dira que l’attitude de l’homme et de la femme vis-à-vis de la concupiscence charnelle est très différente. L’homme est beaucoup plus attiré que la femme par tout ce qui est physique, corporel, visible. C’est pourquoi, si la femme est mal habillée, l’homme va tomber facilement dans des désirs et dans des actes impurs. C’est un fait que les théologiens de tout époque ont constaté. D’autre part, la femme a plus de difficultés que l’homme à respecter la vertu de modestie. Pourquoi ? Parce qu’elle sait – parfois de façon presque inconsciente – que l’homme est attiré précisément par son corps. Et comme elle veut être désirée, elle a tendance à se découvrir plus qu’il ne convient. Attention, je le répète : ce phénomène peut exister aussi chez les hommes. Mais il est moins fréquent, car la psychologie des deux sexes est différente. Cela ne veut pas dire que l’homme ne doit pas pratiquer la vertu de modestie, mais que pour la femme il sera nécessaire, dans la plupart des cas, un effort supplémentaire. De la même manière, mais en sens inverse, pour les hommes il est nécessaire un effort supplémentaire pour vaincre l’orgueil, qui chez la femme est peut-être moins fort.
Venons à la partie la plus délicate : le conséquence pratiques. L’immodestie est-elle un péché ? La réponse découle logiquement de ce que nous venons de dire. Oui, l’immodestie est un péché. On peut pécher contre la modestie par défaut : il y a des gens qui, par paresse ou – encore pire – par mépris du corps, s’habillent avec une négligence déplorable. D’habitude ce n’est qu’un péché véniel. On peut pécher contre la modestie aussi par excès. Par exemple, on donne une importance excessive à la façon dont on s’habille, on veut toujours suivre la dernière mode, on pense trop à son aspect extérieur. C’est ce qu’on appelle la vanité, la coquetterie. Là aussi, généralement il n’y aura que péché véniel.
Mais il y a aussi une autre manière de pécher par excès contre la modestie. C’est quand nous mettons des vêtements qui laissent découvertes des parties moins honnêtes du corps. Peu importe notre intention personnelle. Peut-être n’avons-nous aucun désir de provoquer ou de séduire. Le fait est que ces vêtements trop courts ou trop moulants sont aptes par eux-mêmes à exciter chez les autres de mauvais désirs contre la pureté. Cette façon de s’habiller, il faut le dire clairement, constitue objectivement un péché mortel. D’abord contre la pureté. Vous me direz : si je m’habille court, ce n’est pas moi qui fais le péché d’impureté, c’est celui qui me regarde. Il aurait dû résister. Sans doute, celui qui accepte le mauvais regard ou le mauvais désir pèche-t-il. Mais pèche aussi celui ou celle qui lui a fourni l’occasion de pécher, car il a été cause volontaire de ce péché. Ensuite il y a aussi un péché de scandale, qui s’oppose à la vertu de charité. Si je m’habille mal, je donne le mauvais exemple aux autres. Imaginez une fille qui fait beaucoup d’efforts pour respecter la modestie. Si les autres filles de son milieu et peut-être de sa paroisse ne s’habillent pas comme il faut, elle sera tentée aussi de tout laisser tomber.
Dans la pratique, quels sont les vêtements qu’on doit considérer immodestes ? En général, tout ce qui est très moulant, surtout les pantalons. Pour les hommes, les shorts trop courts ou les t-shirts sans manches. Pour les femmes, les jupes qui ne couvrent pas les genoux, les décolletés qui arrivent à la moitié de la poitrine. Ce sont des règles simples et faciles à respecter. Non seulement à l’église – ne soyons pas hypocrites ! – mais partout, surtout si on est présence des gens de l’autre sexe. Car il ne s’agit pas ici d’une coutume, d’une tradition humaine, d’une chose qu’on a toujours faite sans savoir pourquoi. Il ne s’agit pas non plus d’une obsession que nous avons, nous les prêtres. Il s’agit d’une loi morale, enseignée par la Bible, les Pères de l’Église, les théologiens, la droite raison ; d’une loi qui est valide toujours et partout.
Il y en a qui diront : nous ne pouvons quand même pas nous habiller comme au XIXe siècle. Mais personne ne vous l’a demandé ! La mode change, aujourd’hui on s’habille de façon plus simple et plus courte qu’autrefois. Cela est tout à fait légitime. À condition cependant qu’on observe les lois de la morale. On peut très bien s’habiller de façon à la fois moderne et modeste. D’autres diront : moi je n’y vois rien de mal, je n’ai pas de mauvaise intention. Peut-être. Mais de fait, votre façon de vous habiller est objectivement une occasion de chute pour les autres. Votre intention ne change rien à cet état de fait. Une bonne intention ne rend pas bon pas un acte qui est en lui-même mauvais. Une dernière objection : tout le monde le fait, même les tradis. Hélas, c’est vrai. Il est vrai que l’immodestie est un problème très répandu. Mais ce n’est pas parce que tout le monde fait une chose qu’elle est bonne. Il faut vaincre le respect humain et se conduire selon la morale que Notre Seigneur nous a enseignée. Cela vaut pour la pratique de n’importe quelle vertu.
Le Carême approche. Voici une résolution utile : jeter les vêtements immodestes que nous avons à la maison, s’engager à toujours s’habiller de sorte que notre tenue extérieure manifeste notre sainteté intérieure et ne soit pas occasion de chute pour notre prochain. Que la Sainte Vierge nous obtienne la grâce de le faire. »
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Très très beau sermon ! Merci
Très intéressant (même pour moi qui ne suis pas tradi)! Je me questionne souvent sur le fait que « s’habiller avec modestie » semble rimer avec « s’habiller avec des habits d’une autre époque ». Apparemment, il n’en est rien, et je m’en réjouis. Mais j’ai bien du mal à trouver des personnes inspirantes, avec des habits à la fois modestes et modernes…
Merci pour votre commentaire ! J’essaie de poster un maximum de photos ici, sur les réseaux et sur Pinterest pour inspirer tout le monde avec des styles différents 🙂
Merci pour ce beau sermon, qui explique de façon dépassionnée les choses. Entende qui peut (et veut)! C’est une question de vocabulaire mais j’avoue préférer parler de « décence » plutôt que de « modestie ». J’ai toujours l’impression qu’être « modeste », c’est être invisible comme une souris. Alors que « décence » évoque pour moi le fait de couvrir le nécessaire sans toutefois renoncer à être jolie et rayonnante.